PHÈDRE, ŒNONE.
ŒNONE.
Il faut d’un vain amour étouffer la pensée,
Madame ; rappelez votre vertu passée :
Le roi, qu’on a cru mort, va paraître à vos yeux ;
Thésée est arrivé, Thésée est en ces lieux.
Le peuple, pour le voir, court et se précipite.
Je sortais par votre ordre, et cherchais Hippolyte,
Lorsque jusques au ciel mille cris élancés…
PHÈDRE.
Mon époux est vivant, Œnone ; c’est assez.
J’ai fait l’indigne aveu d’un amour qui l’outrage ;
Il vit : je ne veux pas en savoir davantage.
ŒNONE.
Quoi ?
PHÈDRE.
Je te l’ai prédit ; mais tu n’as pas voulu :
Sur mes justes remords tes pleurs ont prévalu.
Je mourais ce matin digne d’être pleurée ;
J’ai suivi tes conseils, je meurs déshonorée.
ŒNONE.
Vous mourez ?
PHÈDRE.
Juste ciel ! qu’ai-je fait aujourd’hui !
Mon époux va paraître, et son fils avec lui !
Je verrai le témoin de ma flamme adultère
Observer de quel front j’ose aborder son père,
Le cœur gros de soupirs qu’il n’a point écoutés,
L’œil humide de pleurs par l’ingrat rebutés !
Penses-tu que, sensible à l’honneur de Thésée,
Il lui cache l’ardeur dont je suis embrasée ?
Laissera-t-il trahir et son père et son roi ?
Pourra-t-il contenir l’horreur qu’il a pour moi ?
Il se tairait en vain : je sais mes perfidies,
Œnone, et ne suis point de ces femmes hardies
Qui, goûtant dans le crime une tranquille paix,
Ont su se faire un front qui ne rougit jamais.
Je connais mes fureurs, je les rappelle toutes :
Il me semble déjà que ces murs, que ces voûtes
Vont prendre la parole, et prêts à m’accuser,
Attendent mon époux pour le désabuser.
Mourons : de tant d’horreurs qu’un trépas me délivre.
Est-ce un malheur si grand que de cesser de vivre ?
La mort aux malheureux ne cause point d’effroi :
Je ne crains que le nom que je laisse après moi.
Pour mes tristes enfants quel affreux héritage !
Le sang de Jupiter doit enfler leur courage ;
Mais quelque juste orgueil qu’inspire un sang si beau,
Le crime d’une mère est un pesant fardeau.
Je tremble qu’un discours, hélas ! trop véritable,
Un jour ne leur reproche une mère coupable.
Je tremble qu’opprimés de ce poids odieux
L’un ni l’autre jamais n’osent lever les yeux.
ŒNONE.
Il n’en faut point douter, je les plains l’un et l’autre ;
Jamais crainte ne fut plus juste que la vôtre.
Mais à de tels affronts pourquoi les exposer ?
Pourquoi contre vous-même allez-vous déposer ?
C’en est fait : on dira que Phèdre, trop coupable,
De son époux trahi fuit l’aspect redoutable.
Hippolyte est heureux qu’aux dépens de vos jours
Vous-même en expirant appuyiez ses discours.
À votre accusateur que pourrai-je répondre ?
Je serai devant lui trop facile à confondre :
De son triomphe affreux je le verrai jouir,
Et conter votre honte à qui voudra l’ouïr.
Ah ! que plutôt du ciel la flamme me dévore !
Mais, ne me trompez point, vous est-il cher encore ?
De quel œil voyez-vous ce prince audacieux ?
PHÈDRE.
Je le vois comme un monstre effroyable à mes yeux.
ŒNONE.
Pourquoi donc lui céder une victoire entière ?
Vous le craignez : osez l’accuser la première
Du crime dont il peut vous charger aujourd’hui.
Qui vous démentira ? Tout parle contre lui :
Son épée en vos mains heureusement laissée,
Votre trouble présent, votre douleur passée,
Son père par vos cris dès longtemps prévenu,
Et déjà son exil par vous-même obtenu.
PHÈDRE.
Moi, que j’ose opprimer et noircir l’innocence !
ŒNONE.
Mon zèle n’a besoin que de votre silence.
Tremblante comme vous, j’en sens quelques remords.
Vous me verriez plus prompte affronter mille morts.
Mais puisque je vous perds sans ce triste remède,
Votre vie est pour moi d’un prix à qui tout cède :
Je parlerai. Thésée, aigri par mes avis,
Bornera sa vengeance à l’exil de son fils :
Un père, en punissant, madame, est toujours père ;
Un supplice léger suffit à sa colère.
Mais, le sang innocent dût-il être versé,
Que ne demande point votre honneur menacé ?
C’est un trésor trop cher pour oser le commettre.
Quelque loi qu’il vous dicte, il faut vous y soumettre,
Madame ; et pour sauver votre honneur combattu,
Il faut immoler tout, et même la vertu.
On vient ; je vois Thésée.
PHÈDRE.
Ah ! je vois Hippolyte ;
Dans ses yeux insolents je vois ma perte écrite.
Fais ce que tu voudras, je m’abandonne à toi.
Dans le trouble où je suis, je ne puis rien pour moi.
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